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St Martin - Samana, ou les tribulations de deux terriens en croisière, épisode V

allions nous mourir de faim ou être mangés, et risquions nous, de plus, une attaque surprise des barbaresques qui écument la Caraïbes depuis des siécles ?

la dernière partie de notre épopée commençait dans le doute, sous un soleil accablant, sans le moindre nuage;

nous n'avions pas mangé et bu depuis bien longtemps déjà et la seule idée d'un repas nous faisait frissonner d'envie et de peur simultanément; il nous semblait en effet que nos officiers nous regardaient à présent d'une façon plus appuyée, comme s'il nous soupesaient afin de determiner lequel serait mangé le premier, quelle partie serait flambée au rhum mijotée longuement et quelle autre partie pourrait être tout simplement saisie au grill, piquée à l'ail avec quelques échalottes finement découpées et doucement revenues, blanchies a la poêle;

si ce n'avait été de moi dont je parlai, j'en aurais eu l'eau à la bouche ...

nous saisimes même une discussion au cours de laquelle ils semblaient débattre de l'intérêt respectif de chacun des modes de cuisson possibles à bord et de la nécessité de nous donner à manger afin, disaient ils que nous ne maigrissions pas trop...

même si ne pouvions être d'accord avec eux sur tout, nous leur sumes gré de bien vouloir continuer de nous nourrir avec les quelques maigres provisions du bord.

le navire continuait sa route, et c'est au large de porto-rico que nous tombames dans un

guet-apens.

lorsque la vigie signala deux navires au noroix, il était déjà alors tard;

basses sur l'eau, gréés de voiles auriques, les embarcations étaient menées par un équipage de canailles patibulaires couturés, tatoués, armés jusqu'aux dents et pour tout dire pas franchement​ souriants ni accueillants;

il ne pouvait en aucun cas s'agir d'une escorte de bienvenue envoyée à nous par un office de tourisme en mal de visiteurs, et nous n'étions pas le 1er avril;

nous allions donc finir comme esclaves, vendus dans les îles, soumis à la férocité de nos propriétaires, et condamnés le reste de notre vie à récolter la canne à sucre sous les coups de fouets;

c'est alors que le capitaine swann, et le capitaine charlotte apparurent dans l'écoutille avec deux pierriers chargées à mitraille;

les assaillants n'étaient plus qu'à une demi encablure lorsqu'il fit feu; les charges furent suffisantes pour réduire les assaillants de moitié; les tirs avaient provoqué une tranchée humaine; les corps basculèrent dans l'eau, la teintant de rouge, et furent aussitôt devorés par les requins qui nous suivaient;

braves bêtes finalement !

nous fîmes alors notre devoir jusqu'au bout, et après avoir viré lof pour lof, nous passames vaillament à l'abordage; ce fut un combat sans merci, nos sabres n'etaient plus que le prolongement naturel de nos bras, nous avançames, reculames, combatimes dos à dos, éventrames, coupames, recoupames, plantames.

enfin la victoire fut nôtre ;

couvert de sang, le dernier pirate jeté à la mer, nous nous regardames, inquiets :

quelle était donc cette odeur forte, inattendue, flottant sur le bateau ?

une mèche lente dans la sainte barbe afin de mettre le feu à la réserve de poudre qui allait nous désintégrer dans quelques secondes ?

nous descendimes en courant dans l'entrepont afin d'éteindre comme nous pouvions ce piège infâme et découvrîmes la cambuse dans laquelle un repas pour les 30 marins du bateau, cuisait doucement;

dans l'immense casserole un sanccocho mijotait.

spécialité dominicaine il s'agit d'un plat de délicieux morceaux de viandes diverses, gencives de porc, têtes et pattes de poulet, sabots de chèvre et intestins de génisse, cuit très longuement dans une sauce à base de piment, de saindoux, d'huile de coco et de rhum, afin de les attendrir et servi avec la traditionnelle platée de riz.

nous étions sauvés, l'eau des tonneaux était délicieusement fraîche, nous avions de quoi manger jusqu'à notre destination, il n'était plus question de dévorer l'un d'entre nous et le combat contre les féroces pirates nous avait soudé.

nos deux prises en remorque, afin de les vendre aux enchères à notre arrivée, et le butin trouvé dans les bateaux nous rendit sourire et moral; ducats d'or, maravedis d'argent, pistoles et guinées anglaises, louis d'or, perles et lingots, saphirs, émeraudes; notre fortune était faite !

le reste du voyage ne fut qu'une formalité, nous fumes dispensés de corvées sauf le nettoyage, la cuisine le lavage et la vaisselle et le cirage des chaussures.

le mercredi a 13h62 précisément la vigie nous signala avec une émotion visible, la terre à bâbord; nous encapames la baie de samanà et à 15h93 nous mouillames l'ancre devant la marina de samanà.

la douane et la marine nous accueillèrent avec force vivats et embrassades quand ils découvrirent à quoi nous avions échappé; ils nous expliquèrent que le chef des barbaresques que nous avion vaincus, répandait la terreur dans toute la région, et que notre bataille serait désormais consignée dans tous les livres d'histoire dominicaine.

après avoir partagé avec eux nombres de libations et de discours, nous embarquames, vacillants, dans une limousine officielle de l'état-major, afin de faire le tour de la ville et recevoir les acclamations de la foule en délire, puis nous fumes conduits chez nous par un cortège de voitures officielles.

les vraies vacances allaient enfin pouvoir commencer !

note de l'auteur :

comme vous pouvez le deviner, ce texte est un récit objectif de notre aventure; jamais il n'a été question d'enjoliver l'histoire, quelqu'elle soit, ou de laisser libre cours à une soit disante imagination débordante et néanmoins alcoolisée;

je ne saurais assez remercier quelques-uns parmi beaucoup, qui ont su m'insuffler, par leur chaude amitié, leur présence quasi quotidienne, l'envie d'écrire mon vécu, tel le journaliste de ma quotidienneté.

les faits, rien que les faits, toujours les faits, comme le disait mon ami et frère, Alfred Camus lors de nos nombreuses discussions et lorsqu'il me demandait mon avis sur ses manuscrits notamment le père goriot;

mon confident René Hemingway, lui, me disait qu'un bon récit doit toujours s'appuyer sur une histoire réelle, et qu'il ne sert à rien de trahir la vérité;

parmi tous ces immenses philosophes, je ne peux oublier celui qui oeuvrait pour mon élection à l'académie française (j'ai refusé; trop de notoriété peut nuire, trop de gloire peut détruire), mon ami Bernard Henri Levy le fabuleux auteur de "et si c'était vrai", "vous revoir", chef-d'œuvres de réflexion, d'analyse et de prospective; c'est lui aussi qui m'a transmis ce besoin de témoigner, toujours, par le récit journalistique.

enfin n'oublions pas Alexander Kent dont le 22 volumes sur la marine de guerre anglaise au 18ème me font toujours rêver et relativiser bien des choses.

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